Journal d'un anarchiste.
« Mort à tous ceux qui s’opposent à la liberté des travailleurs » – Drapeau anarchiste ukrainien
J'ai rédigé ce texte il y a deux ans, à l'occasion du centenaire de la révolution russe, sur mon ancien blog. Je le partage à nouveau ici, en ce mois d'octobre, afin que tout le monde puisse en bénéficier.
Cet article fait écho au centenaire de la révolution russe d’octobre 1917. A coup sûr nous verrons commémorations vibrantes et drapeaux rouges brandis. Nous entendrons quelques fossiles post-staliniens s’accaparer une révolution qu’ils n’ont, en vérité, que prise en chemin, la création des soviets étant bien antérieure. Sous le masque d’un soi-disant « matérialisme historique », ils se targueront de conquêtes totalement usurpées.
La création des soviets, qui étaient des conseils d’ouvriers, de soldats et de paysans, a vu le jour dès 1905, douze ans avant la chute du dernier Tsar de Russie, Nicolas II. C’était la constitution d’assemblées de nature progressiste, dans un pays au fonctionnement économique et politique quasiment féodal. De ce ferment spontané ont émergé une foule d’idées nouvelles, réformistes ou révolutionnaires, futur levier des deux formidables détonations révolutionnaires de 1917.
Le premier coup de semonce eut lieu en février, la guerre avait mis la Russie à genoux. D’importants dysfonctionnements, des pénuries, engendrèrent des révoltes massives ; en 1916 on dénombre jusqu’à un million de grévistes. Février 1917 verra apparaître l’arme redoutable de la grève générale, c’en était fini d’un régime absolument dépassé par son époque. On assiste à la naissance d’une république « démocratique » bourgeoise. Mais celle-ci est morte après ses premiers balbutiements. La colère populaire n’avait cessé de gronder, mensonges et frustrations, tout ceci additionné ont amené à une organisation plus radicale et plus consciente des soviets ; bien des courants politiques y étaient représentés, la parole y circulait, les débats encore existaient. Tapi dans l’ombre, pesant et sous-pesant le bolchévik veillait. Des mots d’ordre, à l’origine anarchistes, furent criés à gorge déployée comme « tout le pouvoir aux soviets ! » par Lénine et ses sombres acolytes. En prétendus « professionnels de la Révolution », ils ont grignoté, écarté, amoindri l’instrument même de cette révolte populaire. Bien sûr, des réticences, des protestations s’élevèrent rapidement mais hélas, il était déjà trop tard…
Tout était mûr pour une seconde Révolution, les différents gouvernements qui se sont succédé et qui n’ont pu répondre aux aspirations du peuple, entre février et octobre 1917, n’ont fait que renforcer la colère de ce dernier. L’exaspération était à son comble, l’instant hautement révolutionnaire, tout était prêt. Conscients de l’imminence d’un événement majeur et irréversible, les bolcheviks eurent tôt fait de s’emparer militairement des derniers bastions d’un pouvoir chancelant en ne rencontrant qu’une piètre résistance.
Ça y était, il y avait une « République soviétique », mais que restait-il donc de ces soviets ? Encadrés par des « commissaires du peuple » ne faisant qu’obéir à une puissance centrale et partisane : le PARTI ; ce parti n’a jamais été le peuple bien plutôt le terreau d’une plante nauséabonde et tentaculaire qui s’appelle « POUVOIR ». Où donc se trouvait cet élan magnifique qui fit s’abattre empire et bourgeoisie, où était passé la révolte soldatesque, l’autogestion ouvrière et paysanne ? Cadres, gradés, décideurs et fusilleurs n’appartenaient plus qu’au seul parti bolchévik. Ça grondait encore pourtant, ça grondait fort ! Évictions, pressions et musèlements ne passaient pas aussi inaperçus que l’aurait désiré l’appareil étatique déjà bien établi. Un exemple de révolte authentiquement soviétique est celui de Kronstadt : Le comité de marins revendiqua haut et fort sa nature soviétique révolutionnaire, non alignée sur le pouvoir central. Ceci déplut outre mesure à ce dernier, les menaces se firent pressantes, les accusations aussi ; les bolchéviks n’hésitèrent pas à répandre d’abjects affirmations, ces marins seraient les instruments de la garde blanche et des pouvoirs occidentaux. A aucun moment ce soviet n’a reçu le moindre argent de ces fossoyeurs, il l’a même refusé fermement. Les anarchistes ont proposé une médiation, ils ont été bien vite écartés car l’option militaire était déjà actée. Le « camarade » Trotsky, Lev Davidovitch Bronstein de son vrai nom, fondateur de l’armée rouge avait déjà tiré une croix sur les organisations autonomes ; il commit alors l’acte le plus anti-soviétique imaginable à l’époque, l’écrasement d’un communisme, « plus à gauche que nous-mêmes »[1] dixit Trotsky.
Plus au sud, une révolte libertaire essentiellement paysanne était menée en Ukraine. Ses cibles : la garde blanche (tsariste), la propriété privée, la coalition anti-révolutionnaire occidentale ; son nom, la « Makhnovchtchina » (du nom de Nestor Makhno, célèbre anarchiste ukrainien), a connu d’incontestables victoires sur les divers fronts engagés. Il y eut des pactes ponctuels, militaires, avec l’armée rouge. Mais la méfiance innée et combien normale des anarchistes envers des partis institutionnalisés rendit impossible toute compromission sur la route d’une révolution véritable. L’armée rouge écrasant de sa puissance aveugle et décérébrée ce qui était en train de naître, mit fin à l’expérience révolutionnaire. Cette fois-ci, c’en était terminé de tous ces mouvements, espoirs, auto-organisations, aspirations de ce qui aurait dû être une émancipation immense.
Mais… Ce n’est que partie remise ! Pas vrai, « camarades » ?
[1] Ma vie, Léon Trotsky, Gallimard