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Journal d'un anarchiste.

Montceaux les Mines (Saône-et-Loire) : La bande noire

Je vous livre ici le récit de la « bande noire » à Montceaux-les-Mines à la fin du 19 ème siècle. Les ouvriers mineurs et leurs familles, qui s'étaient mis en grève contre leur condition sociale atroce, ont été brutalement réprimé·e·s, beaucoup de mort·e·s. C'est de cela qu'il faut se rappeler pour comprendre l'existence de ces bandes noires et pourquoi pas s'en inspirer...

 

L'historiographie récente du mouvement anarchiste français a suscité de nombreux débats, notamment celui concernant l'utilisation de la série M (administration) des archives départementales visant à construire une histoire du mouvement « par le bas »1. L'abondance des rapports des commissaires spéciaux, ou les échanges entre les préfets et le ministère de l'Intérieur permettent souvent de reconstituer un canevas de la vie quotidienne de ces hommes que la République tentait de surveiller.

À partir de la série M des archives départementales de Saône-et-Loire, il est possible de retracer l'histoire des balbutiements du mouvement anarchiste dans le bassin minier de Montceau-les-Mines et notamment d'une société secrète que les autorités ont qualifié de « Bande Noire ». Cette organisation est déjà connue de Jean Maitron2, qui l'étudie dans son chapitre sur « le rôle des anarchistes dans les mouvements de protestation populaire3».

Pourtant l'influence de l'anarchisme sur ce mouvement n'est d'abord qu'une facette d'un patchwork beaucoup plus complexe, comme le soulignait déjà Maitron en précisant : « [qu'] il serait faux [...] de croire que l'on se trouvait devant un mouvement anarchiste conscient4 ». Ce n'est qu'à partir des années 1883-1885 que les affiliés des bandes noires se rapprochent plus nettement de l'anarchisme. Ils entrent alors en relation avec les autres compagnons de la région. Si l'histoire atypique des ces bandes noires nous permet de mieux envisager les multiples « relations, chevauchements et glissements entre anarchisme, socialisme et syndicalisme5», elle nous apporte surtout des éléments de compréhension sur la genèse du mouvement anarchiste français. [C'est donc par une approche locale, qui se veut micro-historique, que nous souhaitons contribuer à étoffer l'historiographie du mouvement.]

« Je fus informé par la rumeur publique qu'une société secrète existait et tenait des réunions la nuit, dans un bois sur le territoire de la commune de St-Bérain-sous-Sanvignes. […] Cette société, dont plus de cent individus font partie, change souvent le lieu de ses réunions, ce qui me fait supposer qu'elle a des adhérents, non seulement à Montceau, mais peut-être aussi dans la direction du Creusot »6. À la date de ce rapport de gendarmerie, la « société secrète », semble déjà bien implantée dans le bassin minier de Saône-et-Loire. Il est très probable que la création de cette association ouvrière remonte à la défaite du prolétariat montcellien en février 1878. À l'époque, la grève des mineurs donne lieu à un conflit si violent que le préfet doit faire appel à la troupe pour ramener l'ordre. Abandonnés par les républicains modérés, dont le Dr. Jeannin récemment élu à la mairie de Montceau-les-Mines, les ouvriers décident alors de s'organiser contre ce que les historiens ont appelé « le système Chagot ». En effet, Jean Maitron montre que ce qui contribue à « surexciter » les ouvriers montcelliens est l'oppression politique et religieuse exercée sur eux par le patron des mines Léonce Chagot : « Je tiens à dire que je ne tolérerai jamais à Montceau de démonstration publique contre la religion et la société. Les ouvriers sont libres chez eux. Au dehors, j'entends qu'ils n'insultent pas à mes convictions et je le proclame ici hautement. »7.

Pour continuer la lutte, les ouvriers ne peuvent se réunir au grand jour du fait de la loi Le Chapelier qui interdit toujours la constitution d'association ouvrière. De plus, le paternalisme oppressant de Chagot ne saurait tolérer cette fronde, affront à son hégémonie sur le bassin houiller. C'est dans ce contexte que se constitue donc probablement « La Marianne », une société secrète que les autorités désigneront par le terme générique de « Bande Noire ».

Toutefois, dès la fin de l'année 1879, le Dr Jeannin réussit à obtenir les noms de certains des sociétaires afin de les pousser à mettre un terme à leurs agissements.

Pourtant, le retour de Jean-Baptiste Dumay8 au Creusot relance l'agitation socialiste en Saône-et-Loire. Un temps séduit par les théories anarchistes, c'est en tant que militant possibiliste qu'il revient au Creusot en 1880.

Peu de temps après son arrivée, il fonde la Fédération Ouvrière de Saône-et-Loire qu'il dote d'un journal : La Tenaille. Il entreprend ensuite de fonder des chambres syndicales sur l'ensemble de la Saône-et-Loire, pour cela il dispose à Montceau-les-Mines d'un terreau particulièrement favorable. C'est ainsi que des hommes comme François Juillet9 ou Antoine Bonnot10 prennent respectivement la tête de la « Santa Maria » et de la « Pensée » au Bois-du-Verne. Ainsi, en 1880 le mouvement ouvrier renaît des cendres de « la Marianne » à l'initiative de Jean Baptiste Dumay. Ces chambres d'orientation possibiliste proposent un programme relativement modeste : « Former un conseil syndical chargé de défendre les intérêts généraux de tous les ouvriers et les intérêts particuliers de chaque adhérent, régler amicalement les difficultés entre ses différents adhérents. Intervenir à l'amiable, épuiser tous les moyens de conciliation entre les ouvriers et les patrons, surtout en ce qui concerne le travail. [...] »11. Pourtant, on peut penser que ces groupements se composent d'individus issus de diverses tendances du socialisme et probablement de l'anarchisme12. Quoi qu'il en soit, des événements d'une tournure beaucoup plus radicale vont éclater à Montceau-les-Mines à partir de 1882.

En juillet 1881, lors du congrès de Londres, l'Internationale anti-autoritaire théorise la doctrine de la « propagande par le fait ». Il s'agit de « porter l'action sur le terrain de l'illégalité, qui est la seule voie menant à la révolution »13.

Dès 1882 à Montceau-les-Mines, cette doctrine va prendre le visage d'un anticléricalisme radical. La Bande Noire s'en prend à l'auxiliaire privilégié de Chagot : le clergé local, personnifié par le curé Gauthier. Il est vrai que l'homme d'église excite particulièrement les ouvriers par son dévouement envers le maître des mines. Roger Marchandeau explique que le curé Gauthier « essaie de combattre la Bande Noire en espionnant les habitants et en les dénonçant à la direction de la Compagnie. Sur son terrible calepin noir, il couche sans cesse les noms des mineurs qui refusent d'accepter la domination du maître ». Cette attitude lui vaudra de nombreuses menaces de la part de la Bande Noire : « Citoyen curé Gauthier, […] si tu n'as pas quitté le pays dans quarante-huit heures, nous te ferons ton affaire. On pourrait bien te sortir de ton écurie avec quelques grains de plomb dans la tête. La Bande Noire »14.

Dans les premières nuits de l'été 1882, de nombreuses croix sont mises à bas à grand renfort de dynamite. Ces tensions annoncent l'émeute orchestrée par les affiliés le 15 août 1882.

Le jour dit, à la tombée du jour, un groupe, avec à sa tête un jeune manouvrier du nom de Devillard, pille une armurerie au lieu dit le « Champ du Moulin » avant de rejoindre le gros de la bande au « Bois du Verne » pour distribuer les armes. C'est à partir de là, vers 22h, que commence une série d'attaques à la dynamite et à la hache contre la chapelle du hameau. Dès la première explosion, d'autres émeutiers surgissent des bois. La chapelle est pillée et incendiée. La bande, « au nombre d'environ deux cents», s'avance vers les villages voisins, drapeau rouge en tête, aux cris de « Vive la Sociale ! Mort aux bourgeois ! ». Apprenant que leur mouvement était isolé, les émeutiers se dispersent sur le chemin de Blanzy15. Dès le lendemain, la troupe est sur place. Les autorités procèdent à de nombreuses arrestations qui mèneront au premier procès des bandes noires prévu pour octobre 1882. Celui-ci sera finalement repoussé au mois de décembre, à la suite de l'attentat de l'Assommoir à Lyon. Ce premier procès des bandes noires constitue l'incipit d'un important mouvement de répression des menées anarchistes en France, dont le fameux procès des 66 à Lyon en janvier 1883.

Antoine Bonnot, l'ami de Jean-Baptiste Dumay est acquitté et rentre à Montceau dès janvier 1883. Ensemble, ils relancent la construction et le développement des chambres syndicales de la Fédération Ouvrière de Saône-et-Loire. Ils se présentent ensuite aux élections municipales de mai 1884 auxquelles ils échouent. Cet échec, combiné à la répression exercée contre les syndicalistes par Chagot, semble sceller la genèse du mouvement syndical dans la région. Dumay part ensuite s'installer à Paris à la fin de l'année 1884, ce qui a pour effet de marginaliser définitivement ce qu'on pourrait qualifier de « parti modéré » au sein des bandes noires.

Dans le même temps, une agitation beaucoup plus radicale se développe au cours des années 1883-1884. La Bande Noire va alors initier la « guerre sociale » contre les bourgeois et les traîtres. Durant les nuits de l'année 1883, les affiliés prennent pour habitude de rendre visite aux « mouches » supposées. On dénombre alors plusieurs attentats contre des mineurs à l'aide de petits engins dont le potentiel létal semble relativement faible. Ceci laisse penser que le but de la bande était d'abord de décourager de nouvelles vocations de mouchards par la « terreur » mais non par le meurtre16.

A contrario, les cibles plus « bourgeoises » de la Bande Noire, les ingénieurs par exemple, semblent avoir échappé de justesse aux bombes de l'organisation. L'ingénieur Michalovski voit sa maison dynamitée par trois fois : les 12 mai, 5 juin et 30 octobre 1883. Il échappe à chaque fois de justesse à la mort, bien que les bombes aient été posées de manière à faire exploser sa chambre à coucher. Contrairement à l'action menée contre les mouchards, un tel acharnement montre qu'ici le but est bien d' « assassiner du bourgeois » dans le cadre d'une lutte des classes.

Pourtant, aucune victime ne trouvera la mort durant ces deux années de dynamitage. L'aventure terroriste s'achève en novembre 1884, alors que le jeune Gueslaff17 tombe dans un piège tendu par un certain Brenin18, un agent provocateur recruté par le commissaire Thévenin de Montceau-les-Mines. Se sachant trahi, Gueslaff dénoncent de nombreux compagnons. Ce deuxième coup de filet aboutit à la condamnation d'une dizaine de personnes lors du second procès des bandes noires en mai 1885.

Avec cette deuxième vague d'arrestations, le mouvement semble amputé d'une bonne partie de ses forces agissantes. Si l'on note encore quelques dynamitages au début de l'année 1885, notamment contre le presbytère de Sanvignes et contre la grande tuilerie de Montchanin, la propagande par le fait semble tombée en désuétude.

Pourtant, les rapports des mouchards continuent de nous décrire un environnement assez dynamique. Des hommes comme Cottin19, Royer20 ou Michaud21, qui apparaissaient déjà dans les rapports de police, semblent alors prendre de l'importance au sein du mouvement. Ils se réunissent, reçoivent de la propagande et tentent bientôt de s'organiser. Résidant à Montceau-les-Mines et au Creusot, ils souhaitent rassembler l'ensemble des anarchistes de la région. Ils tentent alors de créer une fédération des groupes de Saône-et-Loire. Le 1er février 1885, plus d'une centaine de personnes se réunit à Torcy. Les compagnons proposent alors de faire tourner le lieu de leurs rencontres afin que tous les militants de la région puissent s'y rendre régulièrement. S'il on recoupe les comptes-rendus de ses diverses réunions qui ont lieu en 1885, on peut penser qu'il existait des groupuscules anarchisants dans les localités suivantes : Essertenne, Torcy, Montchanin, Blanzy, Ecuisses, Le Creusot et bien sûr Montceau-les-Mines. Cette construction sera relativement éphémère, car à la fin de l'année 1885, Cottin et Royer, deux des initiateurs de cette ébauche de fédération, appellent à voter pour la liste républicaine du Creusot. Cette défection porte un rude coup au mouvement qui n'inquiètera désormais plus les autorités. Cette épopée révolutionnaire trouve son dénouement avec la mort de Michaud, dernier homme important de « l'époque des bandes noires ». Gravement malade, il reçoit régulièrement la visite de ses compagnons. Les funérailles, le 27 juillet 1887, sont l'occasion pour ses compagnons de se « manifester dans la sphère publique »22. Un certain « Laurent », prend la parole et fait l'éloge du défunt en insistant sur son engagement au sein des sociétés de libre-pensée. Ceci peut laisser supposer que les socialistes et les anarchistes des bandes noires, très attachés à la lutte contre le cléricalisme, étaient sûrement massivement engagés au sein de telles associations.

 

Notes

1 Voir l'ensemble des travaux de Vivien Bouhey et notamment sa thèse les anarchistes contre la République.

2 Voir J. Maitron, Le Mouvement anarchiste en France. 1, des origines à 1914, Paris, Gallimard, 1992.

3 Ibid, p151-182

4 Ibid, p162.

5 TARTAKOWSKY Danielle, «Compte rendu de Vivien Bouhey, Les Anarchistes contre la République [...]» publié dans www.histoire-politique.fr, le 22/10/2009.

6 AD/M283 : Rapport de la gendarmerie de Montceau-les-Mines transmis au préfet de Saône-et-Loire – 7 août 1789.

7 Voir J. Maitron, op.cit., p160 – déclaration de Léonce Chagot lors du premier procès des « Bandes Noires ».

8 Jean-Baptiste Dumay (1841-1926). Originaire du Creusot. Dès 19 ans, son militantisme le fait renvoyer des usines Schneider. Il ne revient dans sa ville natale qu'en 1868 et devient animateur du comité républicain local. Militant de l'Internationale, il doit s'exiler en Suisse en 1871 après avoir été élu maire de l'éphémère Commune du Creusot.

9 François Juillet (1857-?) Originaire de Montceau-les-Mines où il devient ouvrier mineur. Il s'implique rapidement dans la lutte contre Chagot via la création de chambres syndicales au côté de Dumay. Il est condamné lors du premier procès des bandes noires en 1882. Dès sa sortie de prison en décembre 1883, il se rapproche des milieux libertaires.

10 Antoine Bonnot (1848-?) Originaire de Montceau-les-Mines où il est ouvrier forgeron. Militant syndicaliste et possibiliste sincère, il se lie d'amitié avec Dumay dont il devient le «lieutenant» lors de la création des chambres syndicales. Il réussit à prouver son innocence lors du premier procès des bandes noires. Il continue alors la lutte en présentant une liste socialiste aux éléctions municipales de 1884.

11 Citation issue de l'introduction d'un exemplaire d'un livret d'adhérent à la chambre syndicale du Creusot, retrouvé in AD/M283.

12 François Juillet est probablement déjà en contact avec François Monod, «l'anarchiste dijonnais», dès le début des années 1880.

13 Résolution du congrès de Londres cité par J.Maitron op.cit., p114.

14 Pièce à conviction citée lors du procès de Châlon-sur-Saône in BATAILLE Alain, Causes criminelles et mondaines 1882, E. Dentu, 1883.

15 Voir aussi A Bataille, Causes criminelles et mondaines 1882, E.Dentu, 1883.

16 Voir l'ensemble des rapports du lieutenant de gendarmerie Mouthe conservé in AD/M283.

17 Gueslaff (1867-?) Probablement originaire de Montceau-les-Mines où il travail comme manouvrier.

18 Claude Brenin (1851-?) Il est originaire de Montceau-les-Mines où il est ouvrier mineur. Agent provocateur à la solde du commissaire Thévenin, il contribue à organiser l'attentat orchestré par la police pour prendre la bande en flagrant délit.

19 Cottin (1866-?) Dès 1881, il est repertorié à maintes reprises comme secrétaire de la chambre syndicale du Creusot et donc potentiellement proche de Dumay. Après les troubles de 1882, il s'exil à Paris où il participe à la manifestation de la place de la Bourse. De retour dans le bassin minier, il devient un des hommes importants du groupe anarchiste de Montceau-les-Mines à partir de 1883.

20 Royer (1842-?). Il est armurier-coutelier à Montceau-les-Mines. Il aurait contribué à armer les émeutiers de 1882. Les anarchistes se réunissent souvent chez lui dans les années 1884-1885, notamment pour obtenir de la propagande et des journaux comme Terre et Liberté et Le Révolté.

21 Michaud Pierre (1851-1887). Il est ouvrier au Creusot. Arrêté à la suite de l'émeute d'août 1882, il est impliqué dans le procès des 66 en 1883. Condamné à une légère peine de prison, il rentre au Creusot probablement à la fin de l'année 1883. Il devient alors un des principaux meneurs anarchiste jusqu'à sa mort en 1887.

22 Voir E. Fureix, «Banques et enterrements» in Becker (dir.) et Candar(dir.), L'histoire des gauches en France, Paris, la découverte, 2004.

Pour aller plus loin, lisez l'analyse de l'auteur, Emmanuel Germain : https://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=215

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